La solidarité européenne par le prisme de la politique des quotas
- gouretvictor
- 31 mars 2019
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Dernière mise à jour : 10 avr. 2019
« La vérité, c’est que le monde devient dur, très dur. Pour y garder son rang, il faut que nos démocraties se durcissent elles aussi. À l’intérieur dans le civisme. À l’extérieur par la solidarité européenne » annonçait Claude Imbert, éditorialiste de renom et co-fondateur du magazine Le Point, consacrant, à l’aube de l’année 1994, l’impératif de « solidarité européenne » face aux maux des mondes. L’emploi du pluriel atteste ici de cette indéniable réalité, celle de la dissonance de notre monde. La métaphore musicale est parfaitement appropriée pour décrire ses divergences, la dissonance désignant, en effet, une discordance d’un ensemble de sons produisant une impression d’instabilité, de contrariété entre les notes, nécessitant une résolution… tant de phénomènes notamment observable au sujet de la politique des quotas de réfugiés établie par l’Union Européen en 2015, vecteur de la fragmentation de l’idée de solidarité européenne.
« Le principe de solidarité est à la base des mécanismes de fonctionnement de l’Union Européenne en tant que système politique instaurant une communauté de nations associées à la réalisation de projets communs, dans l’égale dignité de chacun d’entre elles » explique Jérôme Vignon, président de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale, faisant de la solidarité le catalyseur de la construction européenne. En effet, le principe même de solidarité est porteur, en son sein, d’une volonté éminemment unificatrice, un élément intentionnel consistant en une évolution par l’entraide suggéré par la formule latine d’affectio societatis, ce que définit Vignon comme la solidarité mutualiste (ou solidarité chaude). Il conditionne, toutefois, l’émergence d’un véritable « sens européen » à l’implication bilatérale des pays membre à la fois dans le processus décisionnel mais également dans l’exercice des missions incombant à l’Union; une solidarité organique ou solidarité froide. Enfin, Vignon affirme que seul l’équilibre entre les deux formes précitées peut conduire à la consécration d’un « esprit européen » empreint à une solidarité devenue, de fait, européenne. Cet attachement à l’idée de solidarité en tant que clef de voûte du projet européen remonte aux prémices de l’Union européenne, lorsque Robert Schuman établissait que « l’Europe ne se fera pas d'un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d'abord une solidarité de fait » après avoir préalablement insisté sur le fait que « la paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent »…
L’absence de réponse significative à la crise migratoire est, depuis le début de la décennie en cours, la source de nombre des maux auxquels fait face l’Union Européenne. En effet, la gestion des déplacements de populations, exacerbés par la multiplicité et la redondance des conflits dans les pays sud de la Méditerranée, divise les nations européennes, réaffirmant, de fait, les clivages intra-européens : nord/sud - pays du nord globalement épris d’une tradition d’accueil relativement ancienne contrairement aux jeunes démocraties du sud moins sensible à cette question- et est/ouest. Ces suma-divisions, consacrant des divergences préexistantes au fait migratoire, sont le « carcan de l’Union européenne », paralysant son action et interrogant sur sa capacité à s’élever en tant qu’entité prééminente sur l’échiquier du monde. Regrettable constat qu’explicite Mathieu Tardis, chercheur en migrations et citoyennetés au sein de l’Institut Français des Relations Internationales (IFRI), lorsqu’il écrit : « harmonisation inachevée, solidarité en berne, absence de confiance mutuelle : l’Europe de l’asile semble en panne », insistant sur l’ambivalence des États membres appelant à « l’action de l’Europe » prônant parallèlement, pour certains d’entre eux, leur attachement à des logiques isolationnistes.
Cependant, la mort tragique de près de 1200 réfugiés des suites d’un naufrage au large de la Libye en avril 2015 constitue un point de non-retour en matière de non-interventionnisme européen. Effectivement, ce drame, directement imputable à l’inaction de l’Union Européenne, tiraillée en son sein par des attitudes réfractaires et divergentes de ses États membres, met en oeuvre la responsabilité institutionnelle, politique et morale de ses dirigeants. À l’aune de cette tragédie, véritable déterminant de la prise de conscience tardive de l’ampleur/gravité du phénomène ainsi que de sa nécessaire résolution, la Commission Européenne a initié - une fois de plus - des négociations portant sur la mise en place d’une politique commune d’accueil des populations réfugiés afin de soulager la pression sur les régimes d’asile grecque et italien : la politique des quotas. Dispositif prévoyant la relocalisation de quelque 120 000 réfugiés en l’espace de deux ans, la politique précitée - adoptée à la majorité qualifiée - est fondée sur le principe de solidarité extérieure dont l’Union Européenne se doit de faire preuve à l’égard des peuples opprimés ou dans une situation de besoin. Les quotas de réfugiés constituent justement la réponse supranationale à cet impératif de solidarité extra-européenne, supposant une entente, une confiance mutuelle, une adéquation préalable entre les pays membres; tant de conditions de la solidarité intérieure, qui, persiste une fiction pour l’Union Européenne comme le confirme les propos de Claude Imbert lorsqu’il annonce que notre Europe n’a « pas encore l’âge adulte politique qui lui permettrait de définir et défendre ses intérêts collectifs »…
Effectivement, les prémices de la mise en place des quotas de réfugiés ont été le témoin d’une mobilisation importante des gouvernements nationaux (Allemagne, France ainsi que les Pays baltes), s’employant à répondre du mieux possible aux objectifs imposés par la Commission. Cette politique a, néanmoins, prématurément été sujette à des manquements explicitement reconnus et assumés par les pays d’Europe centrale menés par le premier ministre hongrois, Viktor Orban. En effet, le groupe de Visegrad (Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie) s’est fermement opposé, ce dès les négociations, au dispositif établi par la Commission; Budapest refusant notamment d’accueillir des réfugiés depuis 2015 et ayant intenté un recours auprès de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) à l’encontre de ladite politique considérée comme « irresponsable ». La virulence de l’opposition de l’Europe orientale repose sur une appréciation unilatérale de solidarité européenne, une cécité singulière à l’égard du projet européen, épris d’une acception de la solidarité européenne en tant que « route à deux voies » selon les termes de Jean-Claude Juncker, président de la Commission Européenne; divagation selon laquelle la résolution des problématiques soulevées par la crise migratoire serait exorbitante des missions et attributions dont se fait garante l’Union Européenne. Cette absence de lucidité politique et humaine a été publiquement et largement condamné par les protagonistes européens tels que Dimitris Avramópoulos, commissaire aux affaires intérieures et à la migration, précisant que « la participation à la relocalisation est un engagement moral assorti d’une obligation juridique » avant de poursuivre « l’Union Européenne n’assure pas seulement des financements et la sécurité, elle suppose l’équité, le partage des responsabilités et la solidarité ». La consécration de l’échec de la politique des quotas ?
Dans un arrêt symbolique, en date du 6 septembre 2017, le Cour de justice de l’Union Européenne a affirmé le principe de solidarité entre les pays membres concernant l’accueil des réfugiés; décision rendue suite au recours présenté par la Hongrie et la Slovaquie au sujet des quotas de réfugiés. Dorénavant, la volonté de l’Union est simple : venir en aide aux populations de réfugiés par l’intermédiaire, au moins dans un premier temps, de la politique des quotas; tout manquement à cette dernière sera sanctionné. La mise en place de sanctions n’a, cependant, eu aucune incidence sur la détermination sans faille des pays membres de Visegrad comme en atteste la déclaration du ministre des affaires étrangères hongroise en réponse à la décision susdite lorsqu’il annonce que l’Europe orientale continuera à « se battre » contre tout quota prônant, ensuite, que cette politique est empreint à un « effet d’aspiration » pour les migrants. C’est justement l’irrespect de ces obligations solidaires par quelques réfractaires qui a conduit l’Union Européenne a revoir sa politique migratoire lors du sommet européen de Salzbourg en septembre 2018 au terme duquel une politique d’accueil sur la base du volontariat est préférée à la politique des quotas, jugée insuffisamment efficace par ses pères. Le choix de la désuétude des quotas de réfugiés s’explique selon Yves Bot, avocat général à la Cour de justice de l’Union Européenne, par l’absence de consensus à son encontre ainsi que par la complexité de sa mise en oeuvre au sein d’une Union peinant déjà à subvenir aux besoins de l’ensemble de ces citoyens. Toutefois, ce revirement politique ne consacre pas la disparition des politiques migratoires ni même ne remet en cause le principe de solidarité extérieure. En effet, chaque état contribuera à la résolution de la crise migratoire soit par l’accueil de réfugiés soit par des contributions extérieures telles que le financement de l’agence FRONTEX.
Il convient, enfin, d’insister sur l’impact considérable de la crise migratoire, que ce soit dans les problématiques sous-jacentes ou dans l’impératif de réponse que soulève cette dernière, sur l’avènement d’une véritable solidarité européenne, caractérisée par sa pluralité, sa dualité interne/externe non susceptible de degré. Or, la solution précédemment énoncée induit « une rupture avec cette idée qu’on allait forcément vers plus d’Europe » et repousse, de fait, le parachèvement de notre « sens européen »… clef d’appréhension, de compréhension et d’élaboration du monde s’offrant à nous.
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